Lettres à un tueur (part 2)

Publié le par Spike


     J'ai relu toutes les lettres de Thomas attentivement, et ce faisant, des épisodes de ma vie d'il y a 10 ans refaisaient surface: à travers les questions qu'il me posait et les réponses qu'il faisait, ce que je lui avais écrit me revenait peu à peu.
J'ai compris pourquoi je n'avais sans doute jamais relu ces lettres: j'y revoyais sans doute trop fort ma vie de paumée, le mec nase dont je partageais la vie, mes angoisses , mes casseroles et mes peines de l'époque. Je parlais à Thomas de tout ce qui faisait ma vie à ce moment là... avec du recul, je me dis que je ne devais vraiment pas être la "pen-pal" idéale... mais il m'a toujours écrit de longues lettres très gentilles, sans jamais me juger ou quoi que ce soit.
Etrange comme ses lettres pouvaient me réconforter à ce moment là, étrange aussi que ce soit lui qui puisse me dire des mots justes, alors que ce que ma vie était tout de même mille fois moins pire que la sienne.

    Thomas Anthony Wyatt, né le 6 janvier 1964, était incarcéré dans une prison de Caroline du sud en  1991. Condamné à mort pour vol à main armé et meurtre, il était depuis tout ce temps là dans les couloirs de la mort.
En 1999, lui et 4 autres prisonniers furent transférés à la prison de Starke, en Floride, c'est dans cette prison que je lui adressais mes lettres.
Une mère bi-polaire, un père violent qu'il ne voyait plus, un petit frère tué dans l'incendie de son mobil-home, Pour lui, la vie s'est arrêtée à 24 ans.
Une cellule de 1,80m. sur 2,70m. l'interdiction d'avoir des promenades communes avec les autres détenus depuis 1 an au moment où il m'écrivait, et des sorties dans une petite cour, toujours seul. Pas de télé, pas de radio, peu de contact avec sa famille.

Voilà.
C'est tout ce que je savais concernant sa vie carcérale, il ne m'a jamais parlé d'autre chose à ce sujet. J'imagine qu'il y aurait eu beaucoup à dire, mais étrangement, nous nous comportions comme si nous étions des correspondants "normaux", à la seule différence qu'il était enfermé à vie et pas moi.

     L'autre jour, après avoir relu toutes ses lettres, j'ai donc enfin cherché pour la première fois à en savoir plus sur lui. Persuadée qu'il avait été exécuté, j'ai tout de même voulu vérifier, et voici ce que j'ai trouvé en cherchant dans Google "Thomas Anthony Wyatt death row Florida".

Je suis d'abord tombée sur cette page.
Lorsque j'ai vu la photo, je ne l'ai bien sûr pas reconnu: rien à voir avec celle qu'il m'avait envoyée il y a 10 ans, (voir la photo dans mon 1er post) quel changement!
Je l'ai uniquement reconnu... à cause de son nez, qui a une forme particulière: pas de doute, c'était obligatoirement lui.
Ensuite j'ai lu les faits décrits... les lieux et les dates concordaient avec ce qu'il m'avait dit.
Je suis aussi tombée sur plusieurs rapports et procès verbaux (au passage, j'étais très étonnée de voir que ce genre de documents était disponible sur internet) qui détaillaient les crimes pour lesquels il était accusé, son contexte familial (bien glauque), son histoire. Tout est là.

J'avoue que ça m'a fait un léger choc car je ne m'attendais pas à autant de choses: déjà en prison en 1988, il s'en est évadé, puis fut repris en 1991 pour vols divers, braquages, 1 viol et 3 meurtres.
Rien que ça.

     "Tu te rends compte que t'as correspondu avec un dangereux malade? m'a dit Séb. T'auras l'air bien s'il s'évade de prison façon Mickael Scofield et qu'il te retrouve pour te faire la peau! Je te rappelle qu'il a ton adresse!"

Ha oui tiens. C'est vrai.
Cela dit, ça ne m'a jamais posé de problème, parce que d'une part, je ne savais pas tout cela il y a 10 ans, d'autre part, je me doutais bien qu'en correspondant avec des prisonniers incarcérés dans des prisons de haute sécurité aux Etats Unis, je n'allais pas avoir affaire à des enfants de choeur.

Une correspondance de ce type ne peut avoir lieu que si celui qui est dehors ne juge pas l'autre: neutre, je ne connaissais pas le cas de Thomas Wyatt et je n'ai jamais jugé ce qu'il avait pu faire. Même encore maintenant, après tout ce que j'ai lu, mon opinion sur lui reste neutre, même si l'on est forcé de reconnaître que ce qu'il a fait... merde, ça craint quoi.

     "Sûrement parce que tu n'as pas de coeur!" vont dire certains.

Sûrement plutôt parce que je n'ai aucun lien avec les victimes et que dans ce cas précis, si j'avais fait preuve de la moindre empathie, je n'aurais jamais envoyé une seule lettre à Thomas Wyatt.
Dans le cas présent, je n'étais pas une proche des victimes, aucun média en France n'a relaté l'affaire, il n'y avait donc aucun élément qui puisse toucher de près ou de loin mon émotivité.
C'est certainement, c'est la seule raison qui a fait que nous ayons pu nous écrire de la sorte.

En 2000, Thomas Wyatt avait déjà passé 12 ans derrière les barreaux, je suppose qu'il était bien différent de ce qu'il était à 24 ans.
L'attente moyenne dans les couloirs de la mort est de 8 à 10 ans... En faisant une recherche à son nom sur le site internet de la prison de Starke en Floride, j'ai constaté qu'il était toujours là bas: comment est-il possible qu'un homme soit pendant plus de 20 ans dans les couloirs de la mort?
L'Etat qui permet ce genre de chose est à mon sens pire que les criminels qu'il juge.

Certains diront que je n'ai approché qu'une facette de Thomas Wyatt, celle qu'il a bien voulu me montrer à travers ses lettres, ce qui me rend aveugle et naïve vis à vis de lui... mais meurtrier ou non, qui n'agit pas de cette façon? Avec internet, forums, blogs etc... il est encore plus facile de jouer à ne montrer qu'une facette de soi.

     Le week-end dernier, j'ai repris mon papier à lettre, choisi quelques photos, et je lui ai écrit une lettre de 8 pages, comme avant. Je ne sais pas s'il se souvient de moi, s'il aura cette lettre, et s'il me répondra.

Et oui, j'écris à un criminel et je n'ai même pas d'état d'âme à le faire. So what?

     Egoïstement, je dirai que cette correspondance m'a beaucoup apportée. Peu importe ce dont il était coupable. A ses yeux, je faisais peut-être parti des seules personnes qui jamais ne l'ont jugé, et en ce sens, j'espère juste avoir pu lui apporter quelque chose à un moment de sa vie, de la même façon qu'il a su apporter quelque chose à la mienne.

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M
<br /> Perso je trouve ça super de faire ça. Je ne savais pas qu'on pouvais écrire à des détenus. Après tout s'il en sont arrivés là, c'est qu'il y a une raison, on ne commet pas des crimes par<br /> hasard.<br /> J'espère qu'il te répondra, en tout cas je pense qu'il se souviendra de toi, il doit pas lui être arrivais tant de chose passionnantes que ça.<br /> C'est vrai que ce soit être horrible de rester si longtemps pour attendre de mourir, ça doit être encore plus insoutenable que de mourir directement, fin je suis p-e pas claire.<br /> Puis aussi pour sa famille, sa fille, au moins s'il était mort elle pourrais passer a autre chose, là depuis 20 ans, il sont en suspend en fait.!<br /> Bref je trouve que c'est une bonne idée de faire ça<br /> <br /> <br />
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E
Je viens de lire les deux post sur cette histoire vraiment particulière.<br /> Tu as fais preuve, et encore aujourd'hui, d'un altruisme dont je ne serai pas capable.<br /> Est-ce bien ou mauvais dans ce cas présent ? je ne sais pas.<br /> Perso, les individus qui se retrouvent derrière les barreaux pour meurtre, viols, pédophilie, etc, ils le méritent et je ils ne me donnent pas envie d'avoir d'états d'âme à leur égard.<br /> La peine de mort... c'est délicat, comme tout ce qui touche à la mort. Mais pour un Saddam Hussein, par exemple, je ne vais pas pleurer, au contraire je serai pour.<br /> Ceci dit, tout est relatif comme le dit mon copain Albert !<br /> Ah oui, un dernier truc : c'est dingue que tu ais pu trouver autant de renseignements sur le net à ce sujet (american dream)
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S
<br /> Comme je l'ai dit, c'est le fait que je n'ai jamais rien connu des victimes ou des faits qui m'ont permis d'entretenir cette relation (faussée peut être tu vas me dire) avec Thomas.<br /> Echange il y a eu dans les 2 sens, il m'a aidé lui aussi d'une certaine façon à ce moment de ma vie...<br /> <br /> <br />
A
Je te découvre par ce texte... <br /> Dès que j'ai le temps, je vais fouiller tes archives...<br /> J'aimais beaucoup comme toi l'idée d'écrire des lettres sur papier. Je le faisais autant que possible... Mais je dois reconnaître que cela fait longtemps, très longtemps.<br /> Quant au fond, il m'interpelle beaucoup, pour des raisons humaines et professionnelles... Suis anti peine de mort dans tous les cas, et j'admire bcp ta démarche.
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F
Yeahhhh, écrire le 33ème comm en habitant Bordeaux... la classe !<br /> <br /> Juste le plaisir de te dire que ton post me renvoie avec plaisir 20 ans en arrière. <br /> <br /> Je donnais des cours d'anglais en prison, le mercredi après midi, avec un pote. Après 3 h assez intenses, on sortait lessivés de s'être donnés à fond pour intéresser les tolards, on buvait 3 bières en refaisant le monde et on rentrait en bus, des étincelles dans le regard, grisés par l'alcool. Et à ce moment là, les filles étaient toujours plus belles que d'habitude. Sais pas pourquoi.<br /> <br /> J'aime bien l'idée d'écrire. Bizarrement, j'ai pas écrit aux prisonniers, j'imagine que je pensais pas avoir quelque chose d'intéressant à leur dire.<br /> <br /> J'en ai croisé un, 2 ans plus tard, à Paris, dans une soirée associative, genre militants gaucho écolos (ben ouais, y a 25 ans...). On s'est dévisagés un moment, puis reconnus, et finalement, je lui ai serré la paluche en lui demandant des nouvelles. Cool, on n'a pas parlé de l'épisode "case prison", et c'était bien ainsi.<br /> <br /> La peine de mort ? J'admire Badinter, l'écouter, c'est se sentir intelligent. Après chacun a le droit de penser, à sa façon.<br /> <br /> Mais, encore une fois... J'aime aussi écrire des lettres sur du vrai papier, d'ailleurs, tiens, un jour...<br /> <br /> Bye
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J
C'est malin, vous parlez de FDM et voilà que mon PC clignotte de partout " un nouveau chat pour toi", " fonce t'as plein de choses à dire", "c'est TON sujet" et toutes sorte de messages de ce genre. Vous m'avez appelé, me voilà !
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