Un prénom pourri pour la vie
Je me suis toujours dit qu’on devrait pouvoir avoir un prénom provisoire, le temps qu’on soit assez grand pour décider de son propre chef si le prénom en question, nous convient ou non : cela éviterait de vieilles rancœurs entre parents et enfants plus tard, exemple:
«J’ai trainé ce prénom merdique toute ma vie, la faute à mes parents qui vénéraient de la même façon les chanteurs Johnny Halliday et Dave ».
Dixit un mec qui s’est appelé Johnny-Dave et qui aurait préféré d’appeler Herbert en hommage à Herbert Léonard.
Je ne sais pas s’il a fait un procès à ses parents celui ci, mais en tout cas, ils auraient bien mérité de verser des dommages et intérêts conséquents à leur fils.
Si je prends mon exemple: bon ok vous allez dire que je passe mon temps à gueuler sans arrêt – ce qui n’est pas faux, vous pouvez demander à n’importe qui de mon entourage proche, personne ne vous contredira – mais j’ai mis 19 ans à m’habituer à mon prénom.
A 6 ou 7 ans, j'ai demandé à mes géniteurs:
«Dites les parents, comment je fais si je veux changer de prénom ? »
A mon grand désappointement, ils m’ont dit :
«Mais tu peux pas ma fille. On t’a appelé Spike et c’est comme ça. Et te plains pas, on aurait pu t’appeler Martine ou Ursule. De toute façon, comment tu aurais voulu t’appeler? Tu crois que t'as une tête à t'appeler Géraldine? »
Et là, j’ai répondu :
«J’aurais voulu avoir un prénom NORMAL! Un prénom qu’on me demande pas de répéter et d’épeler 4 fois avant de l’écorcher ! Un prénom COMME MES COPINES!
- Christelle ? Isabelle ? Valérie ? Patricia ?
- Non : un prénom facile à porter et original : vous auriez dû m’appeler «KARINE-CAROLE». Vous trouvez pas que j'ai une tête à m'appeler Karine-Carole?»
Consternation profonde de mes parents devant tant d'insolence et d'ingratitude de la part de leur fille chérie...
«Et pourquoi pas «Marguerite-Marielle» tant que t’y es, hein ? C’est clairement moins ridicule que Spike tu trouves pas ?»
Mes pauvres parents entendirent ce discours en boucle pendant des années. Je regrettais plus que tout de ne pas m’être appelée Karine-Carole, pendant des années, ce fut le drame de ma vie.
Rigolez pas, vous ne pouvez pas comprendre.
Et oui je sais, on est vraiment complètement con quand on est petit.
Quand mon petit frère est né, j'ai bien tenté de ma venger sur lui en proposant à mes parents des prénoms encore plus ridicules que celui qu'ils avaient osé me donner, mais ils ne m'ont jamais écoutée.
Mon frère, ce pourri, fut doté d’un prénom complètement normal, je leurs en ai voulu encore plus.
«M'en fous! j'ai dit, je me vengerai sur mon propre enfant si j'en ai un jour!»
Ma première amie à la maternelle, s’appelait Carole, et je l’enviais trop d’avoir un si beau prénom... d'ailleurs, chaque fois que je croise une Carole, ça me fait quelque chose... enfin je me consolais parce que néanmoins, mon deuxième prénom était Karine. C'était déjà ça...
Bref, je me suis dit qu’à moins de devenir chanteuse ou actrice, j’étais vouée à garder mon prénom pourri pour la vie.
Cependant, un jour tout de même, j’ai enfin mûri et j'ai fait le deuil de toutes ces souffrances intolérables...
A 20 ans et demi, j’ai enfin pardonné à mes parents de m’avoir prénommé de la sorte et j’ai enfin accepté mon prénom et fait le deuil de celui que je n’aurais jamais... elle est dure ma vie hein...
Je suis même plutôt contente finalement - mais ça, je l'ai jamais dit à mes parents, vous pensez bien que je préfèrerais manger des salsifis aux betteraves pendant 6 mois non-stop plutôt que de leur avouer un truc pareil et d'admettre qu'ils n'ont pas eu tort sur ce coup là - car je n’ai jamais entendu quelqu’un s’appeler comme moi.
Du reste, ça me ferait un drôle d’effet d’avoir à appeler quelqu’un qui porte le même prénom que moi. Finalement, un prénom pas courant, même s’il est débile, ça a le mérite de vous rendre unique quelque part.
J’ai rencontré une fille prénommée Scarlett, donc la mère était fan d’«Autant en emporte le vent», (une sacrée quiche au passage) j’ai rencontré une Jaclyn, sa mère était fan de Jaclyn Smith, l’actrice qui jouait Kelly dans « Drôles de Dames » (une vieille pétasse celle là) j’ai aussi rencontré un Albator, dont les parents étaient africains et ne savaient pas qui était le VRAI Albator, ce qui n’est pas une excuse en soi, mais bon, ceci explique peut-être cela, ne vous moquez pas s'il vous plait, c'était un garçon charmant.
Un prénom pourri, tout de même parfois, ça ruine tout : un jour, j’ai travaillé avec une chanteuse qui avait un nom qui sonnait comme une poésie, c’était beau, ça lui allait bien, elle était fabuleuse et en plus elle chantait très bien... elle s’appelait Milla Ogassi.
Lors d’un déplacement, j’ai pris pour elle un billet d’avion, au nom que je connaissais. Un peu plus tard, elle m’a appelée pour me demander quel nom j’avais donné pour l’émission du billet:
« Ben j’ai donné ton nom quoi !
- Mais non !!!!! En fait, je te l’ai jamais dit... mais Milla Ogassi, c’est juste mon nom de scène... sur mon passeport et mes papiers officiels, en fait, c’est Martine Grignoux.
- ... MARTINE GRIGNOUX ??????...
- Oui. Mais pour une chanteuse de jazz, ça le faisait moyen.
- Ha ouais. Tu m’étonnes. »
Depuis, quand j’entends cette chanteuse, je ne peux pas m’empêcher de penser à son véritable nom. Ça me gâche tout mon plaisir...
Autre anecdote : pendant longtemps, j’étais fan et lectrice assidue d’un blog terrible et très connu. Son auteur avait un pseudo débile, mais bon, les pseudos toute manière, c’est rarement intelligent.
(y’en a bien qui s’appellent « Spermy »... enfin je dis ça, je dis rien...)
Le jour où l’auteur de ce blog a révélé son vrai prénom, je l'ai soudainement vu sous un autre angle.
Il a avoué qu’il s’appelait Kevin.
PUTAIN KEVIN QUOI !
Depuis ce jour, je n’ai plus vu ce blog sous le même angle, et chaque fois que j’y allais, ce n’était plus pareil, je me disais : « En vrai, il s’appelle Kevin. C’est juste pas possible quoi. »J'ai arrêté de le lire pratiquement du jour au lendemain.
Je ne peux pas me résoudre à me dire que je vais sur le blog d’un mec qui s’appelle KEVIN, c'est terrible hein...
Un autre jour, un mec trop beau et très intelligent a voulu sortir avec moi. Quand il m’a dit son prénom, j’ai réfléchi très vite et je me suis dit que c’était pas possible : le type s’appelait Gonzague.
PUTAIN MAIS GONZAGUE QUOI !
Ok c’était pas de sa faute.
Ok ses parents devaient être des demeurés ou détester leur fils parce qu’en fait ils voulaient une fille.
Le problème c’était que le seul Gonzague que je connaissais alors, c’était le cochon d’Inde de mon cousin que mon oncle avait dû achever à coup de morphine, parce que la pauvre bête était si malade qu’il n’avait même plus la force de ronger ses épis de maïs, et par conséquent, ses dents de devant poussaient, poussaient... poussaient à n’en plus finir et qu’ils étaient obligés de les couper avec un coupe-ongle.
Gonzague il était tellement balèze que malgré la dose de cheval de morphine que mon oncle lui avait administrée la pauvre bête avait survécu ! Quel caïd.
En voyant ce type beau comme un Dieu, je revoyais ce pauvre cochon d’Inde avec ses dents qui n’arrêtaient pas de pousser, et j’ai été prise d’un tel fou-rire qu’il a dû penser que j’étais rien qu’une sale connasse.
Je n’ai jamais pu lui dire la vérité.
Je ne sais pas ce que Gonzague est devenu... le pauvre. (le garçon hein, parce que le cochon d’Inde de mon cousin, au final, il est enfin mort).
Pendant longtemps, je me suis dit que jamais je n’infligerai ce que j’ai vécu de frustration et de rancoeur à mon futur enfant si toutefois j’en avais un.
Et puis tout bien réfléchi... je me suis dit que l'affubler d'un prénom trop courant, ça réduisait mes chances de le retrouver sur la plage ou dans la foule du concert d'AC/DC, le jour où je le perdrai.
Non, les 54 Mathéo ou Arthur de Lacanau ne se retourneraient pas au moment où je tenterais de retrouver mon fils, perdu au milieu de la foule et du sable ou des deux.
Du coup, mon fils a un prénom improbable qu’on a jamais entendu nulle part non plus.
Un peu comme le mien, mais en dix fois pire.
Le pauvre.
Je me suis dit :
«Avec tout ce que j’ai pu reprocher à mes parents, il sera bien en droit de vouloir me faire un procès pour changer de prénom. »
Certes, la veille de sa naissance, le pauvre enfant n’avait toujours pas de prénom, mais j’avais sans doute imaginer qu’on pouvait lui en donner un provisoirement, jusqu’à sa majorité... enfin il paraît que ça, ce n’est toujours pas possible.
Du coup, depuis qu’il est en âge de parler, de comprendre et de donner son avis, je demande souvent à mon fils ce qu’il pense de son prénom. Par chance, cet enfant est très gentil avec moi, et se trouve fort satisfait de son prénom.
Parfois, je l’appelle Henri ou Robert, pour voir ce que ça fait. Ensuite il crie.
On est con chez nous, je vous jure, un rien nous fait marrer.
Et on se moque de ses copains qui s’appellent Brian, Brandon, Ferdinand ou Corneille.
« Comme le chanteur ! il me dit.
- Non : comme l’écrivain.
- Non, le Corneille de mon école il connaît que le chanteur ! »
Y'a t il des Beyoncé ou des Rihanna dans l'assistance????
Bon et puis ne me dites pas que je suis la seule à avoir détesté mon prénom, je vais me sentir pas normale là...