Chapitre 10 - Sao Mai

Publié le par Spike

    Lorsque Kim-Yen était petite, son père trouvait qu’elle ressemblait beaucoup à sa petite sœur, Sao Mai, et c’est aussi ce que ses parents lui dirent lorsqu’ils la virent pour la première fois :

    « C’est étrange comme c’est le portrait de sa tante... elles ont vraiment beaucoup de similitudes... et au niveau du caractère également.
- Et pourquoi je ressemble à Sao Mai ? demandait Kim Yen
- Parce qu’elle est têtue comme toi et n’écoute jamais ce qu’on lui demande de faire ! » répondait son père en riant.

    Kim Yen regardait les photos de Sao Mai et avait hâte de rencontrer un jour cette tante à qui elle ressemblait tant.
    « C’est loin les Etats-Unis... je la verrai un jour ma tante ? Et vous reviendrez de temps en temps nous voir en France ? » demanda-t-elle à son grand-père avant qu’il parte.

    « Tu viendras quand tu seras plus grande, en attendant, tu continueras de m’écrire et tu apprendras à parler anglais pour pouvoir discuter avec toute la famille qui est là bas.»


    Ong-Noi et Ba-Noi partirent vers une nouvelle vie, tandis qu’ici celle de Tao et de sa famille suivit son cours...

Quelques temps après leur départ, Tao trouva le carnet que lui avait laissé sa mère. Il parla de cette histoire à Anna en sur le ton de la plaisanterie car étant d’un naturel assez cartésien, il ne croyait pas vraiment à toutes ces histoires de « destins déterminés dès la naissance » même s’il reconnaissait que certaines choses étaient troublantes...
Anna quant à elle pensait que même si chacun était le maître de sa propre vie, certaines choses devaient être écrites dès le départ...
Un soir, les enfants étaient couchés depuis longtemps quand Tao montra le carnet à Anna. Il lui expliqua sa provenance et ce qu’il représentait.

    « Tu l’as ouvert et tu l’as lu ? demanda Anna.
- Non. Je t’attendais pour le faire. Je voulais voir avec toi si ce qu’il contenait s’était ou non réalisé.
- Tu as envie de savoir ?
- Je ne crois pas à ces choses là tu sais bien... ce sont juste des croyances populaires... au Vietnam, tout le monde fait ça à la naissance des enfants, et comme j’étais le premier fils de la famille, le mien a paraît-il, été réalisé avec beaucoup de soin et de précision par Madame Lâm, la voyante. C’est ma mère qui m’a dit ça. »

    Tao ouvrit le carnet : il y avait des cartes du ciel, des dessins, des graphiques, des symboles, beaucoup de dates bien sûr, et des textes qu’Anna bien sûr ne pouvait pas comprendre puisque tout était écrit en vietnamien.
Elle demanda à Tao de lui traduire.

Au début, cela fit rire Tao, parce que tout ce qu’il lisait s’était en effet réalisé : il était parti de son pays, il avait quitté ses parents, ses amis, sa famille, s’était marié avec une étrangère... c’était dans ce carnet, à sa grande surprise.
Tout n’était cependant pas dit avec autant de précision, son pays d’exil n’était pas désigné clairement comme étant la France, ça aurait pu tout aussi bien être les Etats-Unis ou le Canada: parfois, il y avait deux ou trois possibilités, mais au final, il n’y avait qu’un résultat principal.

    « Tu vois comme finalement plusieurs chemins de traverse mènent quoi qu’il en soit à la même route principale... peut-être que finalement, tout est écrit, mais que nous avons juste le choix d’y arriver de différentes manières...
- Je ne suis pas sûre que tu doives lire le reste maintenant, lui dit Anna, as-tu vraiment  besoin de tout connaître ? »

    Tao continua de tourner quelques pages, lorsqu’en s’arrêtant sur un passage, il pâlit légèrement.
    
    « Qu’est ce que tu as lu ? Dis moi ce qui est écrit ici ! »

Après quelques instants, Tao répondit :

    « Là, c’est écrit que je reverrai ma famille après de longues années, mais pas tous.
- Qu’est ce que ça signifie ? Ton frère Tuân a disparu et est probablement mort au Vietnam, mais les autres ?
- Il ne s’agit pas de lui. Je sais que je ne reverrai plus mon frère... mais peut-être que je ne reverrai plus une de mes sœurs non plus. Je ne sais pas laquelle.
- Ferme ce carnet maintenant, je ne suis pas certaine qu’il soit bon de tout savoir... »

    Tao rangea le carnet dans un des tiroirs de son bureau et n’y toucha plus.

    Un dimanche de mai, en 1986, la sonnerie du téléphone retentit. Kim-Yen alla répondre puis appela son père qui était occupé à jardiner.
   
    « Papa c’est pour toi ! Téléphone ! Mais je sais pas qui c’est parce que j’ai rien compris, on dirait qu’on appelle de très loin ! »

    Tao prit le combiné, puis parla en vietnamien à son interlocuteur. Kim-Yen resta à côté parce qu’elle aimait bien entendre son père parler dans sa langue maternelle. Soudain elle se rendit compte que le ton de sa voix changea puis elle vit une chose qui lui était complètement inconnue jusqu’alors : pour la première fois de sa vie, elle vit son père pleurer.
Lorsqu’il raccrocha, Anna lui demanda qui avait appelé. Quelle nouvelle l’avait à ce point bouleversé ?

    « C’était Minh, mon frère. Il vient de me dire que ma petite sœur était morte... je n’ai pas pu parler à mes parents, ils sont sous le choc...
- Sao Mai ? Elle est... morte ? Mais comment ?
- Elle s’est noyée... une sortie en bateau... elle n’avait pas de gilet de sauvetage... le bateau s’est retourné... tu te rends compte que je l’ai quittée alors qu’elle avait à peine 8 ans... c’est fini maintenant... c’est trop tard... »

    Lorsque Kim Yên entendit cela, elle eut du mal à réaliser qu’il s’agissait bien de Sao Mai qui était morte aussi brutalement.
La seule personne au monde qu’elle avait plus que tout envie de rencontrer venait de mourir subitement. Pendant des années, cette absence de rencontre avec cette tante pourtant si lointaine, mais avec qui elle partageait tant de ressemblances, deviendrait son plus grand regret.

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S
MOI AUSSI JE T'AIIIIIIIIIIIIIIME !!!<br /> <br /> Appelle-moi (connasse).
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V
j'ai préféré le club des cinq en partouze (avec le chien).<br /> <br /> Noté pour Mademoiselle, mademoiselle.
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S
@ Sonia: merci à toi... et puis rétablis toi très vite, promis?<br /> <br /> @ Fran: je pense que tu pourras lui en parler quand il sera plus grand, c'est évident. Pour le moment, c'est sûrement un peu tôt pour qu'il comprenne je pense...<br /> <br /> @ Silphi (lisse): ouais je fais dans la blague digne de celles de Vanessa qui se plaint tout le temps!<br /> Je trouve également que c'est étrange comme tradition, en temps que mère, je ne me vois pas demander à une voyante de me donner l'avenir où les grandes lignes de la vie de mon fils... je ne voudrais pas savoir.<br /> Je pense aussi que chez nous, on a pas du tout le même rapport à la vie et la mort que dans ces sociétés.<br /> La phrase de la bannière traduit tout à fait ceci puisqu'elle veut dire:<br /> "la vie et la mort ne sont qu'une seule et même chose" <br /> C'est un des principes du bouddhisme.
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S
Deviennent flippants ces petits carnets. En fait je m'interroge quant à la tradition, le fait de les réaliser et de figer la destinée pour chaque enfant correspond à quel besoin ? :)
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F
Maheureusement les discours, les souvenirs et les photos ne peuvent remplacer les personnes disparues. Moi-même je me demande comment je vais reussir à parler de mon ex-bea-père à mon fils. Cet homme généreux que je connaissais pas tellement et qui m'a tellement aidée.
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